Retour sur la conférence Femmes à la Caméra au Micro Salon 2025

Lors de la 25e édition du Micro Salon, le collectif Femmes à la Caméra a donné une conférence intitulée "Directrices de la photographie, une communauté mondiale". La rencontre, organisée et modérée par Nathalie Durand, AFC, Pascale Marin, AFC, et Julia Mingo, directrice de la photo, a réuni quatre invitées : Pamela Albarrán (France/Mexique) - Micaela Cajahuaringa, DFP (Pérou) - Daria D’Antonio, AFC, CCS (Italie) - Sandra De Silva De La Torre, AMC (Mexique, en distanciel).

De g. à d. : Pamela Albarrán, Nathalie Durand, Daria D’Antonio, Pascale Marin, Julia Mingo, Micaela Cajahuaringa
 - Photo Katarzyna Średnicka
De g. à d. : Pamela Albarrán, Nathalie Durand, Daria D’Antonio, Pascale Marin, Julia Mingo, Micaela Cajahuaringa
Photo Katarzyna Średnicka

Julia Mingo ouvre la conférence en évoquant la série photographique "Women of Light and Shadow" (Femmes d’Ombre et de Lumière). Exposées pour la première fois au Micro Salon 2024, ces photos de Clara Pauthier ont ensuite voyagé en novembre dernier à Camerimage, avec le soutien de Femmes à la caméra et grâce à la ténacité de Clémence Thurninger. L’exposition y a trouvé son public.
Julia Mingo et Nathalie Durand poursuivent en évoquant la polémique de la dernière édition de Camerimage : « L’industrie cinématographique connaît des changements rapides qui affectent l’image cinématographique, son contenu et son esthétique. L’un des changements les plus significatifs est la reconnaissance croissante des femmes chefs opératrices et réalisatrices. Cette évolution est cruciale car elle corrige l’injustice évidente présente dans le développement de la société. Toutefois, elle soulève également une question : la recherche du changement peut-elle exclure ce qui est bon ? Pouvons-nous sacrifier des œuvres et des artistes aux réalisations artistiques exceptionnelles uniquement pour faire de la place à une production cinématographique médiocre ? ».
Marek Żydowicz, le fondateur du festival polonais, a publié cet édito dans le magazine Cinematography World, en réaction à la pétition de Women In Cinematography, qui a réuni plus de 4 000 signataires. Le collectif interpellait la direction du festival, car depuis la création de Camerimage, seulement 3 % des films en compétition ont eu une directrice de la photographie.
Suite à cette publication "maladroite", qui semblait sous-entendre que le travail des directrices de la photographie est a priori plus médiocre que celui des hommes, et qu’elles les privaient de récompenses au nom de l’égalité. De nombreuses réactions ont suivi cette publication.
Cela rappelle que les préjugés ont toujours la vie dure quand il s’agit de reconnaître le travail des femmes à l’image. Surtout lorsque l’on voit les chiffres de femmes nommées en compétition à Camerimage.

Pascale Marin présente une carte du monde de la provenance des femmes qui composent Women in Cinematography.

Selon elle, la polémique de Camerimage aura au moins eu le mérite de fédérer les volontés et permis d’entrer dans une démarche positive quant à la reconnaissance de la qualité du travail des femmes à l’image.
La première femme à partager la genèse de son parcours est Micaela Cajahuaringa.
« J’ai découvert mon intérêt pour la direction de la photographie dès l’adolescence. Ma mère était cinéphile et j’allais au cinéma toutes les semaines avec elle. Mon père était un artiste peintre. Ma passion pour l’image a été cultivée depuis petite. L’image comme moyen de communication artistique me parlait. J’ai ensuite étudié à Lima en sciences de la communication, et lorsque j’y étais, l’école de cinéma de Garcia Marquez a été fondée. »
Fortement intéressée, Micaela y entre et fait partie de la première promotion de la Escuela Internacional de Cine y Televisión, à Cuba. Visant d’abord la réalisation, elle se rend compte que pour elle l’image est plus forte. Elle a donc l’opportunité de se former dans la technique, qu’elle n’avait pas au Pérou.
Daria D’Antonio, membre de l’AFC et du Collettivo Chiaroscuro, prend la parole.
« J’ai eu cette passion aussi très jeune. J’ai beaucoup travaillé seule, dans ma chambre. J’ai ensuite découvert la beauté de travailler avec les autres, de partager ce processus créatif en collectif. Je n’ai pas fait d’études mais je me suis formée en travaillant. Un réalisateur m’a confié la caméra et j’ai appris sur le tas. Je suis passée d’assistante et petit à petit je suis devenue directrice de la photo. »
Pamela Albarrán était aussi cinéphile jeune, grâce à son père. Elle regardait beaucoup les making off des films et s’intéressait déjà au processus de création de l’image.
« J’ai ensuite étudié dans une école de cinéma, puis j’ai eu l’occasion d’être assistante de prod’ sur des plateaux. Un jour, le chef op’ m’a dit de venir voir ce que ça donnait, et quand j’ai mis mon œil dans la caméra, je me suis dit : "Ouah !, c’est archi beau !, c’est quoi ça ? C’est différent, ça ne ressemble pas à la caméra que j’ai chez moi" ». Elle poursuit ses études dans la photographie, travaille aussi dans la publicité. Elle participe plus tard lors de ses études à un échange à l’École Louis-Lumière.
Les images de chaque DOP sont projetées, laissant notamment place aux jeux sur les couleurs de Micaela, aux mémoires de deux amants capturées par Daria, et à une séquence de cascade en une seule prise de Pamela, réalisée après un changement de décor en dernière minute.

Pascale Marin revient sur la proportion de femmes aux postes de réalisatrices et de directrices de la photo dans les pays de nos invitées en 2024.

En Italie, sur 152 films sortis en salle, 14 % ont été réalisés par des femmes et 4 % ont eu des directrices de la photo. « Ça fait partie de l’histoire du pays, jusque dans les années 1980 les femmes n’avaient pas accès à ces métiers », intervient Daria. « Je pense qu’aujourd’hui, être une femme dans ce métier, c’est une force. On peut faire tout ce qu’on veut. On a une autre perspective, l’important est ce que tu es, ce que tu penses. » Elle rappelle également qu’il y a besoin de temps pour que le changement opère dans la représentation des femmes à ces postes, même si, comme le dit Nathalie Durand, « On a assez attendu ! ».
Au Pérou, sur 87 films, on retrouve également 14 % de réalisatrices et 3 % de films photographiés par des femmes. Au Mexique, sur 263 films, on retrouve 23 % de réalisatrices et 11 % de cheffes opératrices.
En France, sur la sélection des César 2025, 25 % des films sont réalisés par des femmes et 14 % sont photographiés par des femmes. En revanche, concernant les 70 premiers films éligibles aux César cette année, 36 % étaient réalisés par des femmes, avec seulement 7 % de femmes à l’image. Ces chiffres montrent la frilosité encore marquée des productions à faire confiance aux femmes à ce poste pour un premier long métrage.

La conférence se poursuit par la présentation de différents collectifs féminins à travers le monde. Sandra De Silva De La Torre a fondé en 2018 l’association Apertura. Basée au Mexique, elle a pour but de rendre visible le travail des femmes et des personnes LGBTQIA+ à l’image. Elle comptait initialement 33 membres, elle en a aujourd’hui 73. Elle met en place des ateliers qui ont jusqu’à ce jour réuni plus de 2 000 étudiant·e·s. Ces ateliers se veulent une porte sur l’industrie cinématographique. Apertura donne également des conférences techniques et organise des rencontres avec des DOP nationaux et internationaux. Une soirée Prix Apertura a également été créée afin de récompenser le travail de directeurs et directrices de la photo travaillant au Mexique.
Du côté des Prix AFC cette année, Evgenia Alexandrova, AFC, Muriel Cravate et Lucie Baudinaud, AFC, ont été nommées, et deux lauréates ont été annoncées le 4 février dernier au Cabaret Sauvage. Inès Tabarin, AFC, a remporté le prix du Meilleur premier ou deuxième long métrage de fiction avec Vivants, réalisé par Alix Delaporte. Josée Deshaies, AFC, avec La Bête, réalisé par Bertrand Bonello, a remporté le prix de la Mise en Lumière. Ce prix a été créé par l’AFC avec la volonté de renforcer la visibilité des directrices de la photo.
Micaela mentionne aussi le collectif Candela, à suivre sur Instagram. En ce qui concerne les actualités de Femmes à la Caméra, écouter le podcast "T’as de beaux yeux tu sais !", et suivre prochainement l’ouverture d’une nouvelle antenne du collectif à Marseille.

La conférence est conclue sur ces mots de Cate Blanchett :
« Je me mets au défi, et je vous mets tous au défi, de porter la même ouverture d’esprit et la même curiosité sur l’excellent travail de nos homologues féminines, les directrices de la photographie, et de demander aux producteurs, aux directeurs de studios et aux diffuseurs de prendre les mêmes risques que ceux qu’ils prennent avec nos homologues masculins. »

(Article rédigé par Laurine Desmare Malvestio pour l’AFC, avec l’aide de Pascale Marin et Nathalie Durand)