Retour sur la rencontre AFC "Vers l’éco-responsabilité dans nos pratiques de la lumière"
Lors de sa 25e édition du Micro Salon, l’AFC a présenté une table ronde dédiée à l’éco-responsabilité dans nos pratiques de la lumière. La rencontre, organisée par le groupe de travail Ecocinema AFC, a réuni sept invités : Danys Bruyère, modérateur (TSF) - Gaël Ollier (Innport) - Mathieu Cauvin (Nestor Lab) - Laurent Héritier (Transpa) - Lucas Boubel (Ecoprod)- Nathalie Durand (AFC) - Cyrill Renaud (AFC).

Lucas Boubel ouvre cette table ronde en rappelant quelques chiffres d’Ecoprod sur l’impact carbone des productions cinématographiques et audiovisuelles. L’émission carbone n’est pas la seule métrique environnementale mais est la plus citée.
Sans surprise, dans la fabrication d’un film, c’est le transport qui émet le plus de CO2 (27,5 %), suivi de l’achat de biens (24,6 %) et l’alimentation des équipes (10,8 %).
64 % de l’empreinte carbone du poste “production d’énergie” provient des groupes électrogènes thermiques. L’impact des groupes électrogènes diesel pourrait être divisé par 6 en privilégiant des batteries, voire par 18 en optant pour un approvisionnement secteur.
Nathalie Durand revient sur l’historique des sources de lumière dans l’éclairage au cinéma.
Au début du cinéma, on utilisait la lumière du jour, des verrières au plafond et aux murs des studios. Les pellicules orthochromatiques étaient sensibles au bleu-vert mais très peu au rouge-orangé. Elles étaient peu sensibles, autour de 20 ASA. Dans les années 1910, sont apparus les arcs produisant une lumière du jour puissante et plus directionnelle, qui ont permis de développer une écriture artistique plus dramatique. Dans les années 1930 arrivent les lampes à filament tungstène, ainsi que les pellicules panchromatiques, sensibles à l’ensemble du spectre et d’une sensibilité de 80 ASA à 250 ASA.
Des sources de lumière diffuses, grâce aux open face, et plus directionnelles avec les lentilles de Fresnel se développent.
Dans les années 1960, il y a une évolution dans les lampes tungstène avec l’halogène. C’est aussi l’époque de la Nouvelle Vague et de la sortie des studios, de la mandarine au plafond et sa lumière diffuse, qui ne se voit pas.
L’arrivée des HMI dans les années 1970 offrent des sources puissantes et avec un bon
rendement lumineux. Parallèlement, les pellicules deviennent aussi de plus en plus sensibles, jusqu’à 500 ASA, les optiques ouvrent à 1,4, ce qui permet de tourner avec peu de lumière .
Dans les années 1980, on commence à utiliser davantage les fluos (Kino Flo), avec des tubes équilibrés pour le jour ou le tungstène. Ce sont des sources diffuses peu gourmandes en énergie.
Les HMI et les projecteurs tungstène avec Fresnel sont encore très utilisés.
L’arrivée du numérique dans les années 2000 avec les Sony 900, puis les Alexa vers 2010 freinent l’utilisation de la pellicule. A la même époque sont développés les projecteurs LED. Des projecteurs peu gourmands en énergie, qui peuvent être alimentés par batterie, avec un rendement lumineux intéressant. Les sources LED, légères et diffuses, nécessitent tout de même d’utiliser, encore, des sources HMI ou tungstène pour des faisceaux délimités ou des éclairages puissants.
L’utilisation des LEDs a permis de réduire la consommation électrique, mais cependant l’utilisation de terres rares nous questionne sur sa durabilité. Par ailleurs, la fabrication de ces projecteurs en Chine se fait dans des conditions peu éthiques, et la question de la non réparabilité et de l’obsolescence programmée des projecteurs LED est catastrophique d’un point de vue écologique.
Aujourd’hui, la tendance des fabricants est de proposer des projecteurs LED plus puissants avec lentille Fresnel. Quelle sera la suite ? Des plans lumière créés par l’IA ?
Côté importateur, Gaël Ollier évoque un indice de réparabilité créé en interne afin de contrer l’obsolescence programmée. Comment réparer et répondre aux besoins des utilisateurs, comment développer les pièces détachées ?
Innport implique pour cela ses partenaires loueurs, qui viennent se former chez eux et travailler avec leurs techniciens. L’entreprise s’est par ailleurs engagée à visiter les usines de ses fournisseurs, afin de définir au mieux l’accompagnement technique et aussi s’assurer de la pérennité des pièces détachées. Ces actions ont pour but d’améliorer l’ergonomie et la réparabilité des produits. Innport mutualise également des équipements avec ses partenaires.
Danys Bruyère demande si des constructeurs donnent des informations sur le cycle de vie de leurs produits, notamment des LEDs.
Des données existent-elles ? Quel est le vrai poids de la fabrication des LEDs et des batteries ?
La réponse de Gaël Ollier est qu’il n’a a pas de données pour le moment. Jusqu’à encore récemment, les fabricants surexploitaient la LED en température ; aujourd’hui elle est exploitée jusqu’à 60-70 % de ses capacités pour en favoriser la durée de vie et la stabilité de la qualité lumineuse. Cela donne des produits qui durent plus longtemps, et donc des éclairages plus pérennes.
Danys Bruyère pose la question de la transition d’énergie et de l’aspect financier qui en découle.
Laurent Héritier, arrivé en poste chez Transpalux il y a presque un an, a fait de la décarbonation de l’énergie un sujet prioritaire, notamment en lien avec les exigences des zones à faibles émissions carbone (ZFE) des grandes villes telles que Paris, Montpellier ou Marseille. Il a remarqué une prise de conscience sur l’écologie dans notre secteur, des prises d’initiatives durables, soutenables économiquement et socialement.
Il gère un parc de 26 groupes électrogènes qui fonctionne parfaitement, notamment utilisés pour éclairer des matchs de foot, de rugby, etc. Ces dernières années une pression à moins consommer pour ces évènements s’est faite ressentir.
Laurent mentionne un nouveau carburant, le HVO 100, fabriqué à base de déchets, d’huiles alimentaires de cuisson ou encore d’huile de vidange. Ce carburant a les mêmes caractéristiques que le diesel, il n’implique donc aucune transformation technique sur les véhicules. Avec le HVO 100, les émissions de CO2 sont réduites de 85 %, celles de particules fines de 40 %, et il n’a pas d’odeur.
Ce carburant n’étant pas communément disponible à la pompe, il nécessite de faire le plein dans des stations adaptées ou par un acheminement avec un camion citerne. En cas de besoin, il est possible de mettre du diesel "classique" dans le réservoir. Les deux carburants étant miscibles.
Mathieu Cauvin (Nestor Lab) poursuit en présentant la batterie Nomad 110.30. (https://cst.fr/nestor-factory-batterie-nomad/).
Cette batterie a un capacité de 110 kWh, une puissance continue de 30 kW et un poids de 990 kg. Il est possible de la charger dans un petit véhicule, et a de multiples fonctions. Ses cellules sont recyclables.
Mathieu Cauvin part du constat : des changements d’usages et une prise de conscience qui sont à l’œuvre ; une batterie n’a pas une durée de vie illimitée. Le kWh est une valeur souvent difficile à appréhender. En tournage, on ne se pose jamais la question de combien de temps peut fonctionner un groupe thermique, les réservoirs durent des heures et si besoin on refait un plein à la pompe. Cela n’est évidemment pas écologique. Il faut donc changer de manière de penser l’énergie, varier ses sources d’électricité. Le Nomad a donc été conçu pour se recharger sur le secteur tout en étant utilisé.
En choisissant ce type d’approvisionnement pour un plateau, en anticipant les journées de tournage du point de vue de l’énergie, il est possible de réduire considérablement sa consommation et son impact en émission carbone.
Danys Bruyère mentionne chez TSF l’existence d’un groupe électrogène 100 % électrique. En incluant la fabrication et la consommation du véhicule et celles du groupe électrogène, un groupe électrique émet 77 000 kg de carbone. Un groupe thermique en émet 238 000 kg. Ces données sont valables pour la France, où l’énergie électrique est très peu carbonée, contrairement à d’autres pays. L’utilisation de véhicules électriques baisse donc significativement l’impact de consommation.
Cyrill Renaud partage son expérience sur le tournage du film C’est le monde à l’envers, de Nicolas Vanier, avec Bonne Pioche Production.
Ce film parle du réchauffement climatique. L’équipe a été très motivée sur cet éco-tournage. Une réflexion globale et collective a opéré. En décoration, on a choisi d’utiliser des décors recyclés, en régie, on a scrupuleusement choisi des options éco-responsables, les comédiens ont partagé leurs loges plutôt que d’avoir chacun la sienne.
À l’image, Cyrill et son équipe se sont questionnés sur la mise en place de grosses structures ou non pour maîtriser la lumière naturelle et sur le besoin d’en reproduire artificiellement. Ils avaient plusieurs possibilités et des sources différentes selon les jours, le type de séquence et la lumière.
Cyrill mentionne le fait que les caméras ont des sensibilités plus fortes aujourd’hui, qu’il y a d’autres possibilités, d’autres manières de travailler, qu’il est possible d’utiliser moins de sources. Il s’est amusé à jouer avec la lumière naturelle. Il insiste sur l’importance de prendre en compte les ressources utilisées en tournage, presque plus que l’aspect artistique. Il est à portée de main de doser l’usage de l’énergie, il existe des solutions pour l’artistique et la technique.
Question du public adressée aux fabricants : que deviennent les projecteurs obsolètes ?
Ils sont gardés et pour des films d’époque, des films incluant un décor de tournage ou bien ils sont vendus à l’étranger. Ils peuvent aussi être recyclés, en lien avec des récupérateurs de matériaux. C’est un travail de longue haleine.
Lucas Boubel conclut en présentant une modélisation de l’impact carbone d’un tournage de fiction télévisée selon trois scénarios d’approvisionnement électrique.
Sans sacrifier le budget énergétique, on éclaire de la même manière, donc sans impacter l‘artistique. Si une telle réduction de nos émissions est possible sans impacter pour autant l’artistique, qu’est-ce qui nous retient de mettre en place ces bonnes pratiques ?
Nos habitudes ont la vie dure, mais en mobilisant chaque personne sur un tournage, de véritables impacts positifs pour l’environnement sont possibles.
(Article rédigé par Laurine Desmare Malvestio, avec l’aide de Stéphane Cami, AFC, et Nathalie Durand, AFC)